Enfance

Textes sur L'ENFANCE

Extrait de "Paraboles d'un curé de campagne"

Plus jamais
Tu n’ouvriras plus jamais une porte à la volée :
Il peut y avoir un petit homme accroupi de l’autre côté.
Tu mesureras tous tes gestes et tu retiendras tous tes élans.
Moins de fougue et plus de force.
Tu verras moins souvent le ciel :
il te faudra regarder sans cesse à tes pieds pour ne pas marcher
sur tes petits hommes.
Tu ne fermeras plus jamais les tiroirs d’un coup de genou.
Les petites mains se glissent partout.
Tu feras toutes choses lentement, soigneusement.
Tu ne dormiras plus jamais sur tes deux oreilles.
Mais tu seras inquiet du moindre soupir.
Tu ne pourras entendre un cri sans te demander, le cœur battant, si ce n’est pas le cri...
Le cri que tu redouteras toute ta vie.
Tu n’allumeras plus jamais un feu sans penser que le feu brûle.
Tu ne poseras plus ta tasse de thé au bord des tables.
Tu éteindras tes bouts de cigarettes avec un soin particulier.
Tu mettras le silence diurne au nombre des choses accidentelles, presque mystiques.
Tu ne diras plus avec la superbe assurance d’autrefois : « tel jour je ferai telle chose ».
Tu piqueras des « peut-être » aux ailes de tous tes projets.

Pierre Trevet

Trevet

 

Extraits de "Enfances"

Poslaniec et Doucey

Haut comme trois pommes rouges
Tout seul
en cachette dans la nuit
mon ombre gigantesque comme le peuplier
et comme l'univers
effrayé d'un craquement
d'une respiration
je m'avance
haut comme trois pommes rouges
en défiant les constellations
les années lumière
les galaxies.

Jean-Hugues Malineau

 

Images d'enfance

Lors des grands froids, l'eau des fossés gelait
et la prairie se couvrait de neige.
Pour affronter la nuit les chambres sans feu,
des briques étaient mises à chauffer
dans le four de la cuisinière,
puis glissées dans une chaussette de laine.
Elles répandaient longtemps entre les draps leur chaleur,
pour se donner à l'aube, encore tièdes comme un oiseau.

Georges Bonnet

 

Plaidoyer pour une enfance

Quand nous étions enfants, nous savions pourtant jouer gravement au présent et puis quitter le jeu
et l'effacer sur l'ardoise magique.

Peut-être bien que nous sommes tous coupables d'enfance et nous écartons cette nostalgie comme un mal à enfouir.
On nous l'a assez répétée, cette petite phrase vindicative : « Tu n'es plus un enfant ! »
Ce qui signifie, en clair : tu ne peux plus aimer, sentir, agir comme un enfant, spontanément, librement selon tes élans.
Tu dois réfléchir avant de parler, d'aimer, de donner, de sourire.

Qui a dressé la muraille entre l'enfance et l'âge de raison ? Qui nous a expulsés? Quoi nous alourdit, le savoir,
la conscience, la responsabilité ? Pourquoi la pénitence ?
Qu'avons-nous fait de ce corps doué d'enfance, qui osait respirer danser sans méthode ni projet ?
Ce corps d'argile réceptif à la lumière, aux caresses, gourmand de vie, présent.

L'état d'enfance crée le jaillissement, l'imprévisible, comme le poème, comme le vent.
Capter l'enfance en nous, c'est retrouver la source, accepter d'être ce vivant confiant devant l'inconnu.
C'est épouser l'instant.

Aimer l'enfance dans toutes ses manifestations, c'est peut-être notre chance et notre avenir.

Considérer qu'en chacun de nous est nichée une enfance qui a voix au chapitre.

Marianne Auricoste

 

On savait que c'était dimanche

Maman ouvrait la grande armoire
prenait une savonnette
et nous lavait avec pour sentir bon.

-Tu changeras aussi de ruban, disait-elle à Dylla,
et, à moi, elle répétait souvent :

- Mets pas tes doigts à ta bouche !
Elle demandait aussi :

- Avez-vous un mouchoir propre ?
que déjà elle nous en donnait un.

Elle « renversait » la bouteille d'odeur dessus,
ça faisait un rond sur la toile.

- Maintenant vous pouvez partir, vous êtes propres.

Elle nous suivait de son regard bleu
jusqu'au dernier tournant,
là-bas, sur la route du dimanche.

Jules Mougin

 

L'enfance

Qui peut nous dire quand ça finit
Qui peut nous dire quand ça commence
C'est rien avec de l'imprudence
C'est tout ce qui n'est pas écrit

L'enfance
Qui nous empêche de la vivre
De la revivre infiniment
De vivre à remonter le temps
De déchirer la fin du livre

L'enfance
Qui se dépose sur nos rides
Pour faire de nous de vieux enfants
Nous revoilà jeunes amants
Le coeur est plein la tête est vide
L'enfance l'enfance

L'enfance
C'est encore le droit de rêver
Et le droit de rêver encore
Mon père était un chercheur d'or
L'ennui c'est qu'il en a trouvé

L'enfance
Il est midi tous les quarts d'heure
Il est jeudi tous les matins
Les adultes sont déserteurs
Tous les bourgeois sont des Indiens

L'enfance
Si les parents savaient l'enfance
Si les moindres amants savaient
Si par chance ils savaient l'enfance
Il n'y aurait plus d'enfants jamais.

Jacques Brel

 

Chanson d'enfance

En route mauvaise troupe !
Ma mère tu disais
Et tes mots n'avaient pour pays
Que l'enfance bouche bée
J'allais
Parmi les expressions magiques
Parmi la troupe des mots
Tes mots
Parmi le troupeau dispersé
Des souvenirs à naître

[...]

En route mauvaise troupe !
Ma mère tu dirais
Et tes mots sont une ronde à la traîne
Posée sur mes épaules de laine
Je vais
Parmi le silence des cours de récréation
Parmi le silence des préaux trop vastes
Trop hauts
Parmi le troupeau réuni
Des souvenirs épargnés

[...]

Laurence Bouvet

 

 

 

 

 

 

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